Tuesday, February 25, 2014

Brève histoire du mouvement communiste aux Philippines

par  partizan voie proletarienne

Brève histoire du mouvement communiste aux Philippines


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Le Parti communiste des Philippines (Partido Komunista ng Pilipinas, PKP) est né en 1930, quelques années après l’instauration des premiers syndicats communistes dans l’archipel. Le pays est alors sous le régime colonial américain et le mouvement communiste est fortement réprimé. L’attaque du Japon sur les États-Unis en décembre 1941 à Pearl Harbour est immédiatement suivie de l’invasion des Philippines, où sont concentrées les forces militaires américaines dans le Pacifique. La résistance armée à l’occupation japonaise s’organise, à partir du début de 1942, dans le Hukbalahap (Hukbo ng Bayan Laban sa Hapon, Armée populaire antijaponaise), dirigé par le PKP. Ses combattants, les Huks, s’illustrent dans des attaques régulières de l’Armée impériale japonaise tout au long de l’occupation.
Après la reconquête de l’archipel par les États-Unis, les Philippines deviennent formellement indépendantes en 1946. Le PKP, qui a d’abord opté pour la fin de la lutte armée, reprend les armes en 1948 et l’ancien Hukbalahap devient le Hukbong Magapalaya ng Bayan (Armée de libération populaire, HMB). Celui-ci monte rapidement en puissance, emportant de nombreuses victoires militaires, jusqu’à la mise en place, au début des années 1950, d’une politique contre-insurrectionnelle par l’état philippin, aidé par des conseillers militaires américains (dont le fameux Lansdale, qui s’illustrera ensuite au Vietnam). Les erreurs tactiques de l’HMB et l’ampleur de l’offensive gouvernementale scellent rapidement le sort de l’HMB : à partir de 1954, les redditions sont massives et en 1957, il ne reste que quelques centaines de combattants qui finissent par devenir des bandits isolés des masses.

Le rétablissement du Parti Communiste

La décennie suivante voit la création du Communist Party of the Philippines (CPP) et de la New People Army (NPA) grâce en particulier à Jose Maria Sison. D’abord membre du PKP, celui-ci s’illustre d’abord dans les luttes des étudiants contre la chasse aux communistes qui fait alors rage aux Philippines (en particulier sur les campus) et contre l’engagement militaire philippin aux côtés des États-Unis au Vietnam. Jose Maria Sison, rompant avec le PKP, entraine avec lui quelques 200 cadres du PKP, de l’organisation de jeunesse de celui-ci et du Malayang Samahang Magsasaka (Union des paysans libres, MASAKA). Entre le 26 décembre 1968 et le 7 janvier 1969, se tient le « Congrès de rétablissement » du Parti communiste et dans les mois qui suivent, la NPA est créé à partir de quelques éléments dissidents du HMB. D’un point de vue théorique et stratégique, le CPP-NPA se définit comme « marxiste-léniniste-maoïste ». Le troisième pilier de l’organisation, le National Democratic Front (NDF) sera établi en 1973 lorsqu’aura été élaboré le programme national démocratique.
C’est au début des années 1970 que parait un ouvrage signé Amado Guerrero (le pseudonyme de Jose Maria Sison) : Philippine Society and Revolution (1970). Ce texte, avec Specific Characteristics of Our People’s War (1974) et Our Urgent Tasks (1976), fournit le socle d’une analyse de la société philippine, qualifiée de « semi-colonial et semi-féodal », mais aussi de la stratégie révolutionnaire. Comparant la situation des Philippines (un archipel, « semi-féodal et semi-colonial » dominé par l’impérialisme américain) à celle de la Chine des années 1930 (un pays-continent, disputé par plusieurs impérialismes), le mouvement révolutionnaire tire très rapidement plusieurs enseignements : Partant du constat selon lequel l’armée populaire ne peut constituer une base comme celle de Yan’an, l’expansion militaire devra se propager à partir de plusieurs foyers et la fragmentation géographique sera, à long terme, un atout décisif pour les révolutionnaires. Par ailleurs, la stratégie militaire devra utiliser les montagnes à son avantage et se concentrer sur les grandes iles avant les plus petites.

« Digmaang bayan, sagot sa Martial law ! » (« Contre la loi martiale, la guerre populaire ! »)

Le tournant des années 1960-1970 est marqué par la radicalisation des mobilisations politiques, notamment étudiantes (en particulier durant le « mai 68 » philippin en janvier – mars 1970), et par un recrutement massif du CPP-NPA. En réponse, le Président Ferdinand Marcos décrète la loi martiale en septembre 1972, qui se traduit par une répression politique féroce, mais aussi l’accentuation des affrontements armés entre la NPA et les forces gouvernementales. Au début des années 1980, la prise du pouvoir à brève échéance par le CPP-NPA qui, forte de plus de 8 000 combattants incarne la résistance au régime de Marcos, devient une perspective concrète. Jusque là, l’oligarchie s’était, bon gré, mal gré, ralliées au dictateur qui lui avait pourtant confisqué la plupart de ses pouvoirs économiques et politiques. Mais, comme les États-Unis, elle commence à lâcher le dictateur, qui n’apparaît plus comme le meilleur garant contre le mouvement communiste…
L’assassinat en 1983 de Benigno Aquino, un homme politique de premier plan de la période pré-Marcos et l’un de ses plus grands adversaires social-démocrate, marque un tournant. Soutenue par les élites politiques et économiques philippines, mais aussi par la puissante hiérarchie catholique, aidée par les États-Unis, sa veuve, Cory Aquino, rassemble les forces autour de sa candidature à l’élection présidentielle de 1986. Pendant ce temps, les affrontements militaires entre les forces gouvernementales et l’Armée populaire tournent de plus en plus à l’avantage du mouvement révolutionnaire, malgré une répression politique violente et l’incarcération de nombreux militants et dirigeants. C’est dans ce contexte que Cory Aquino remporte l’élection présidentielle de 1986 contre Ferdinand Marcos : le refus de celui-ci de reconnaitre sa défaite et la défection de plusieurs militaires de son entourage entraine le « People Power », des manifestations gigantesques à Manille qui forcent à l’exil Marcos et son entourage proche.

Le CPP-NPA face au retour à la démocratie bourgeoise

L’arrivée au pouvoir de Cory Aquino permet d’abord la libération de nombreux prisonniers politiques, dont Jose Maria Sison (qui avait été arrêté en 1977). Mais le Parti doit surmonter l’incompréhension des masses : il a appelé au boycott de l’élection présidentiel et il s’est donc coupé de l’élan populaire qui entoure le nouveau régime, qui affiche un programme de réformes sociales, économiques et politiques (comme la réforme agraire). Les résultats de l’engagement du mouvement révolutionnaire dans les élections suivantes sont mitigés. Or Cory Aquino, après avoir entamé des négociations de paix avec le CPP-NPA, met en place, avec l’aide des États-Unis, une lutte de grande ampleur contre le mouvement communiste, notamment en encourageant la constitution d’escadrons de la mort qui ciblent les militants progressistes et les populations civiles suspectées de soutenir le mouvement révolutionnaire.
La période post-Marcos voit également des débats se multiplier au sein du Parti au sujet du mode de production dans le pays (sur son caractère « semi-féodal et semi-colonial ») et de la stratégie, notamment en raison du développement, à partir du milieu des années 1980, de la lutte armée dans les villes, en particulier à Manille. Ces débats ne seront dépassés qu’en 1992 lors de la « Seconde grande rectification » avec la publication de Reaffirm our Basic Principles and Rectify the Errors, qui prend la mesure d’erreurs stratégiques passées et attaque à la fois les courants révisionnistes et insurrectionalistes qui se sont développés au sein du mouvement au cours de la dernière décennie. L’ensemble du mouvement révolutionnaire est alors traversé par une scission entre les reaffirmists et les rejectionists, ces derniers fondant divers groupuscules, recourant parfois à la lutte armée, et plus ou moins dans la sphère d’influence de la IVe Internationale.

De la guerre contre le terrorisme à Oplan Bantay Laya

Une fois ces problèmes internes dépassés, le mouvement communiste s’est trouvé confronté, jusqu’à aujourd’hui, à un nouveau défi : la mise en place par l’État philippin, avec l’aide des États-Unis, d’une guerre anti-insurrectionnelle de vaste ampleur. En janvier 2002, le président George W. Bush, avec l’appui inconditionnel de la présidente des Philippines, Gloria Macapagal Arroyo (GMA), a ouvert, dans l’archipel, un « deuxième front » à la « guerre contre le terrorisme », appelé alors « Operation Freedom Eagle ». Sous le nom d’Oplan Bantay Laya, l’Armée philippine mène depuis une guerre à la fois contre Abu Sayyaf et les mouvements séparatistes moro (la minorité musulmane du sud du pays), mais aussi contre le mouvement communiste (dans l’ensemble de l’archipel). En juin 2006, GMA a déclenché une « guerre totale » contre le CPP-NPA, avec la promesse de totalement le détruire d’ici la fin de son mandat (en juin 2010). Cela s’est traduit par une aggravation de la militarisation des campagnes, des déplacements encore plus nombreux de populations civiles et une augmentation dramatique du nombre des victimes de violations des droits humains.
Il est difficile de chiffrer exactement les victimes d’Oplan Bantay Laya. Mais les organisations luttant contre les violations des droits humains estiment que plus de 1 200 personnes ont été assassinées ou ont « disparues » depuis 2001. Sont tout particulièrement visés les membres de syndicats de paysans (comme KMP) et de travailleurs (comme KMU), d’organisations de femmes (comme Gabriela), de défense des droits humains (comme Karapatan) et d’organisations politiques progressistes (comme Bayan Muna). Mais on compte également parmi les victimes des journalistes, des membres d’organisations étudiantes, des leaders de minorités ethnolinguistiques, des ecclésiastiques, etc. Le cas le plus célèbre qui illustre comment la répression politique vise tous les secteurs de la société civile est certainement celui des « 43 de Morong » : la torture et l’incarcération pendant plus d’un an de 43 travailleurs de santé prodiguant des soins aux communautés les plus pauvres du pays.

Vers l’équilibre stratégique dans 5 ans

Noynoy Aquino, le fils de Benigno et Cory Aquino, a été élu président en mai 2010, grâce à un fort soutien populaire, dû à l’aura de ses parents et à ses discours réformistes, en particulier en faveur des pauvres et des droits humains. Lors de son arrivée au pouvoir, Noynoy Aquino a annoncé la reprise des négociations de paix avec le CPP-NPA, mais aussi les mouvements de libération moro. Mais il a, dans le même temps, prolongé Oplan Bantay Laya qui se terminait normalement avec le mandat de GMA et prolongé les accords militaires avec les États-Unis qui permettent la présence de troupes américaines combattant sur le terrain national. Les premiers prisonniers politiques qu’il a libérés étaient des militaires putschistes. Les réformes sociales promises se font toujours attendre, alors que les conditions de vie du peuple continuent à se dégrader : la réforme agraire n’a été, depuis l’accès de Cory Aquino au pouvoir en 1986, que superficielle (le clan familial Aquino continuant de posséder l’une des plus grandes haciendas du pays), l’économie nationale reste étouffée par une dette gigantesque, les industries nationales sont quasi-inexistantes et 10% des philippins travaillent à l’étranger. Les intérêts économiques étrangers, notamment américains, restent puissants, avec le développement des zones franches, et un agro-colonialisme agressif (l’achat de terres par des compagnies étrangères) qui prive un nombre croissant de minorités ethnolinguistiques de leurs terres ancestrales.
Malgré la répression violente que subit le CPP-NPA, celui-ci continue des discussions préliminaires à la reprise de négociations de paix, afin d’obtenir notamment le respect des droits des populations civiles et des combattant-e-s dans les zones de guérilla, la libération de quelques 370 prisonnier-e-s politiques et la mise en place de réformes sociales (en particulier la réforme agraire). À l’occasion du 42e anniversaire de sa création, en mars 2011, la NPA a annoncé que l’équilibre stratégique devrait être atteint dans un horizon de 5 ans.

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